818 JOURS D'EXIL DE MOHAMMED V



 Création le 26 septembre 2014

"818 jours" est un roman, celui du nombre de jours de l'exil de Mohamed V, sultan du Maroc, d'abord en Corse puis à Madagascar, pour revenir enfin chez lui en tant que roi du Maroc.

La trame historique a été rassemblée par François Salvaing, journaliste français né au Maroc, à partir de toutes les sources possibles. De là, il a brossé cette vie quotidienne qui a pu être celle de Sidi Mohamed Ben Youssef, et de sa famille - particulièrement de son fils ainé Hassan - . Le style est décontracté, plaisant à lire. Tant mieux, car il s'agit d'une histoire bien singulière.

Du 20 août 1953 au 10 novembre 1955, un petit groupe de politiciens et de hauts fonctionnaires de la IV ème République, joue avec les sultans comme avec des pièces de l'échiquier. À cette époque, le Maroc est un Protectorat où le Sultan est coiffé par un Résident général qui, pour peu qu'il ait la grosse tête, se prend pour un proconsul, personne publique que François Salvaing donne du titre de "Protecteur".  Mais n'est pas Lyautey qui veut. Alors sont-ils vraiment la France ? Non, la France est Autre. Ceci étant, la bonne gouvernance est un art extrêmement difficile et subtil, et qui n'est pas à la portée du premier venu.


En ce qui concerne les titulaires de la charge de Résident Général, on peut penser que quand celui-ci avait pour nom Alphonse Juin, il représentait au mieux LA FRANCE, avec un prestige, une majesté même, qu'il est difficile de lui contester, quelle que soit l'optique sous laquelle on se place... Le Général Noguès, jouissant du même indéniable prestige que son prédécesseur, était au surplus un diplomate d'une qualité exceptionnelle.

Le montage politique est le suivant : comme "Mohammed" n'est pas assez souple, et peut-être trop proche du parti de l'Indépendance , l'Istiqlal, "on" va le remplacer par un vieux cousin, Ben Arafa, chaperonné par Thami El Mezouari, pacha de Marrakech, surnommé le Glaoui, du nom de sa tribu. Le Glaoui a toujours été un allié inconditionnel de la France. Mais rien ne se passera vraiment comme prévu.

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La veille de l'Aïd, le Résident Guillaume, accompagné d'une escorte armée, attend Mohammed dans le salon. Pour des raisons de sécurité, il lui demande d'abdiquer. S'il le fait de son plein gré, il pourra avec sa famille vivre en France librement et hautement considéré ! Devant son refus, le Résident le fait embarquer dans un avion militaire - un DC3 utilisé pour les sauts en parachute - avec toute sa famille pour une destination inconnue.



Arrivée de Ben Arafa


 Au bout de quelques heures, l'avion se pose à Ajaccio. Le Préfet de Corse, averti toutes affaires cessantes, apprend finalement à qui il a affaire, mais sans plus d'instruction. Alors, pour la première nuit, il mettra son appartement de fonction à la disposition de son hôte inattendu. En tout dix huit personnes : deux fils, trois filles, trois épouses, ainsi que les serviteurs. Mohammed pourra faire du "tourisme limité", en se gardant de tout contact extérieur, et son courrier sera censuré. Le tout aux frais de la princesse, mais quelle princesse ?

Bonne nouvelle ? Le sultan et sa famille seront transférés à Zonza, à l'hôtel du Mouflon d'or au confort moyen avant modernisation. Zonza est un petit village de montagne du sud de la Corse. Carte postale de Hassan, le fils ainé, à un ami : "Ici, on passe le jour à attendre la nuit, et la nuit on dort en attendant le jour. Cycle parfait, régulier, animal."

Le docteur Henri Dubois-Roquebert est un chirurgien et ami, qui l'a opéré avec succès, grande première chez les Sultans du Maroc. Quelques jours avant son exil, Mohammed lui avait remis une mallette contenant un "en-cas en liquide", au cas où … 

Bien vu, et le docteur était devenu le gestionnaire de la mallette. Il profite aussi de son séjour pour examiner toute la famille et particulièrement la jeune épouse qui attend un bébé. À la suite de son rapport alarmant, le Préfet décide d'un transfert à l'Ile Rousse, hôtel Napoléon Bonaparte.




Bonne pioche, car le climat de l'Île-Rousse est sain, la ville sympathique, le Napoléon Bonaparte un palace. La bonne société de la ville cherche même à intégrer cette famille, après tout royale, à certaines de ses mondanités.



Le statut de Mohammed n'est pas défini : il n'est pas enfermé en forteresse, il n'est pas libre de ses mouvements, mais il loge dans le plus bel hôtel de l'île …




L'ambiguïté de cette situation sera particulièrement manifeste dans l'invitation qui lui sera faite - mais qu'on feindra de lui avoir consentie - de se rendre à Corbara, au château appartenant à la famille d'une prétendue ancêtre. À son dîner avec le Président Roosevelt en janvier 1943, il a pu se laisser aller à revendiquer comme son ancêtre cette Marthe Franceschini, dont il a chargé Hassan de raconter l'histoire à Abdallah (son deuxième fils) entre Zonza et l'Île Rousse : il était une fois une petite fille qui accompagnait ses parents en Sicile. Tempête et naufrage sur les côtes de Barbarie. Des corsaires proposent la fillette au harem de Mohammed III. Marthe devint Davia (la Lumière). Épousée par le Sultan, elle eut deux filles, mortes en bas âge, et ne revit jamais la Corse.

Il est reçu dans le "Château des Turcs" construit par le père de la fillette, avec la fortune amassée au Maroc. Le propriétaire lui parle surtout d'un autre Franceschini, secrétaire particulier de Napoléon III. Sur le chemin du retour, Mohammed remarque une chapelle blanche comme chaux. Sa porte d'un bleu délavé est encadrée de deux palmiers. Comment ne pas penser à un tombeau de marabout ?



Mohammed ferme les yeux sur le fait que ses filles ainées invitent parfois à danser les gendarmes qui les escortent. de même sur les pâmoisons de son fils cadet devant tous les jupons qui passent … En revanche intransigeant sur un point : pas d'alcool, pas une goutte. Hassan passe aussi du temps quotidiennement chez un artisan photographe, Georges Le Provost, jeune homme de son âge dont la boutique est toute proche du Napoléon Bonaparte.


Mais, sur proposition de Georges Bidault, le Conseil des Ministres décide de transférer la famille royale à Madagascar … à la suite des événements dont le Maroc a été récemment le théâtre. Surprise et indignation ! D'abord que lui soient imputés les frais de séjour s'élevant à 500 000 francs (anciens) par jour au titre de son séjour en Corse.

Suit un développement très intéressant de François Salvaing sur les rapports entre Mohammed et son fils ainé Hassan, destiné en principe à lui succéder. Très intelligent, Hassan est aussi très indépendant, et Mohammed a quelques difficultés à inculquer une éducation de haut niveau à un Prince dont le brio intellectuel, sportif et mondain le dispensait d'avoir la langue dans sa poche. Mais l'exil avait soudé les deux hommes.

Bilan de L'Île-Rousse ? De très nombreuses lectures sur Napoléon Bonaparte et Pascal Paoli. Le départ a lieu dans la nuit du 25 janvier 1954. Hassan a fait refouler tous les photographes, à l'exception de son ami Georges Le Provost, de qui il se fait tirer le portrait dans la bibliothèque de l'hôtel. Le Provost promet bien évidemment de ne pas le vendre à la presse et le garde en précieux souvenir… Mais quid aujourd'hui de ce portrait ? Après son décès, sa veuve l'a confié à un ami cher, qui s'est fait un devoir de le faire parvenir au fils d'Hassan, Mohammed VI. Il ne tient qu'au Roi du Maroc que la copie de ce portrait figure dans le présent article, en hommage à son père …

Et c'est le départ en voiture pour l'aérodrome de Bastia, et en avion avec escales à Fort-Lamy et Brazzaville, direction Antsirabé, ville thermale. L'Hôtel des Thermes sera bien indiqué pour héberger toute la famille. Mohammed prend maintenant l'habitude de circuler en ville, non seulement pour se rendre à la mosquée, mais flane dans les boutiques, s'asseoir à la terrasse de cafés, ses filles pêchent et se baignent dans le lac voisin. Les photographes ne s'intéressent plus à ce coin perdu. Hassan et Abdallah jouent au golf, achètent à tout va, et s'intéressent parfois de trop près à la gent féminine.




Hôtel des Thermes

Le Professeur Massignon, islamiste de grand talent, fera l'honneur d'une visite à Antsirabé en janvier 1955. Mais "on" veut que Mohammed s'engage ainsi que ses enfants à s'abstenir de toute activité politique de nature à troubler l'ordre au Maroc, en France, et dans les territoires de l'Union Française ! Mais la situation pourrit lentement au Maroc : en un an on déplore trois cent soixante douze attentats à main armée, cent trente neuf explosions, cent vingt neuf sabotages, cent cinquante trois tués … sans parler des tabassages et répressions diverses.

Ben Arafa commence à perdre le contrôle de la situation, ce qui fait dire à Hassan :
- Ce galimatias signifie que dans moins d'un an, Votre Majesté aura retrouvé son Trône.


Une mission française "officieuse" commence timidement à sonder Mohammed sur la solution du "Troisième Sultan", c'est bien le début de la fin. Hassan prend l'initiative d'une lettre en réplique, ce qui lui vaut les félicitations de son père.

Le Maroc n'est curieusement pas présent à la conférence de Bandoeng. Par l'intermédiaire de Maître Izard, son avocat, Mohammed prend l'initiative dans la négociation qui émerge de l'ombre. Et Pierre Mendes-France de proposer d'envoyer à Paris un "interlocuteur valable" (Hassan n'en est pas peu fier). Pendant ce temps-là, la situation politique s'aggrave au Maroc, tandis que les yeux se tournent de plus en plus vers Madagascar, comme "la" solution à tous ces maux.

On peut parler ici d'une blague totalement stupide émanant d'un quidam qui a remanié l'assiette destinée à Mohammed en la décorant de propos racistes ! Comme l'a dit Napoléon "la méchanceté a des limites, la bêtise n'en a pas". Finalement le quidam s'est avéré être le propre fils du directeur de l'hôtel !

A la radio, Mohammed et Hassan suivent les retombées des massacres d'Oued Zem. Maintenant, Hassan piaffe d'impatience. Il se voit déjà revenu au Palais Royal. Du côté du gouvernement français, c'est le tournoiement, du côté de la famille royale, c'est la préparation des bagages. En outre, Ben Arafa quitte Rabat pour Tanger …

Enfin c'est le grand coup de théâtre : le Pacha de Marrakech " fait sien le vœu de la nation marocaine qui est d'une prompte restauration de Sidi Mohammed Ben Youssef". Pratiquement cela veut dire un adieu à Antsirabé et le tapis rouge pour la suite des événements.


Aux escales, Mohammed a maintenant le droit aux honneurs militaires, avec fanfare. En France, Mohammed est logé dans des châteaux historique, et gratuitement cette fois-ci ! Avec le Président Pinay, il signe un document où l'objectif est de faire accéder le Maroc au statut d'État indépendant. Pendant huit jours, Mohammed reçoit, écoute, évalue. Les doléances, les espérances, les offres, les compétences, les suggestions.

 Plusieurs visiteurs ont insisté : il ne doit plus être le Sultan, mais le Roi. Au mot "tolérance", Hassan propose d'ajouter celui de "concorde".

Fin du livre.





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Mohammed V est également populaire pour avoir refusé d'appliquer les lois anti-sémites du régime de Vichy, protégeant ainsi les 300 à 400 000 juifs marocains.