Modification 1 le 17 février 2015
Jean Mazel a eu deux passions : les Phéniciens qu’il a cherchés et les Marocains qu’il a trouvés. Et pas n’importe lesquels : Sa Majesté Mohamed V !
Il raconte tout cela et bien d’autres choses dans son livre « Retours au Maroc - anciennes et nouvelles énigmes ».
Grand organisateur de conférences, et conférencier émérite lui-même, il est bien connu dans nombre de pays d’Afrique.
« Le Palais Royal m’avait fait prévenir que l’on souhaitait me voir pour me confier une mission, et que je pouvais, en attendant les entretiens prévus, m’installer à l’hôtel de la Tour Hassan. »
C’est ainsi qu’il entre dans le bureau de Moulay Ahmed Alaoui, qui lui dit ex abrupto :
- Mazel, les choses vont très mal. Tu es l’homme qu’il nous faut.
- ???
- Le Roi n’est pas content, car il y a une nouvelle tendance parmi les Ministres et les Hauts Fonctionnaires. Ils voudraient éliminer les anciennes traditions, interdire les danses populaires et le port du costume propre à chaque tribu.
- !!!
Tous deux esquissent un plan d’action et vont en parler à Sa Majesté qui les reçoit avec une étonnante simplicité. Émissions à la radio, soirées folkloriques et surtout création d’un festival ayant pour thème la beauté et la variété des traditions populaires vivantes des différentes régions. Le roi s’intéresse à tout.
A la fin de l’audience, le roi confie :
- Il va falloir que vous persuadiez tous les dirigeants du pays de la nécessité de préserver l’héritage du passé. Les jeunes que j’ai nommés ministres, parce qu’ils avaient des diplômes, connaissent beaucoup mieux Paris et le quartier latin que leur propre pays. Vous qui avez vécu dans les montagnes et les campagnes et qui avez étudié nos traditions, vous saurez les convaincre."
Et Mazel de parcourir le Maroc pour persuader les uns et les autres de l’intérêt de sa démarche qui commençait par la constitution d’un fonds documentaire sur l’histoire des ethnies marocaines.
Il est bon de rappeler que 500 000 Musulmans - descendants des conquérants du VIIIème siècle - accompagnés d’ailleurs de quelque 100 000 Juifs avaient du quitter l’Espagne dans les années où Christophe Colomb découvrait l’Amérique ; on leur avait donné un nom particulier, les Moriscos (les Mauresques).
Par deux vagues, les expulsés viennent se réfugier au Maroc, à Tétouan et à Chéchaouen. mais surtout à Rabat et à Salé, au point de se proclamer « République morisque indépendante ». Les attaques du pouvoir central ne la font pas durer longtemps. Le côté positif de cette « république » est un apport de la Renaissance espagnole dans le domaine de l’architecture.
Mais il y a aussi une présence juive, jusqu’au niveau le plus élevé, dans un pays « musulman », et cela mérite d’être étudié. Au lendemain de l’indépendance, les relations qui existaient à Rabat entre Juifs et Marocains musulmans étaient excellentes. À Marrakech, il y avait quelques « grandes » familles juives, industriels ou agents immobiliers, passablement européanisés, mais la grande majorité des habitants du Mellah était encore d'un aspect primitif en tenue obligée : calotte noire, babouches noires, gandourah noire.
Pour tout savoir sur le Mellah :
Et des quantités d'informations sur les Juifs marocains :
http://www.dafina.net/lemellah.htm
Dès avant l’arrivée des cavaliers d’Okba, (le conquérant arabe - voir notre article sur la Kahina) :
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2076%20-%20LA%20KAHINA
une première vague serait venue en avant garde. Bien mieux : les Juifs installés en Espagne, par le nord et par le sud auraient facilité aux Arabes la conquête de l’Andalousie et assuré leur intendance !
LES JUIFS MAROCAINS
Jean Mazel s’entend dire par un docteur plein d’humour :
- Il y a entre nous la communauté de la circoncision, qui est pratiquée par nos amis musulmans, comme par nos rabbins, avec des rituels très semblables, des formules incantatoires, des mots magiques où l’on trouve, mélangé à l’Hébreux et à l’Arabe, un vieux fond Araméen."
Ce serait vers 580 avant J.-C. qu’un certain nombre de familles juives avaient réussi à échapper à la captivité et à parvenir, après de longues marches, dans le Sud Marocain. Et l’évocation de la Koushite, la femme noire, chère au cœur de Moïse, rendait chaleureuse les réunions que Mazel pouvait avoir. La vallée du Draa était devenue alors une nouvelle terre promise.
Mais un texte - le manuscrit de Toledano - apporte un élément nouveau, absent de la tradition orale : le fait chrétien dans le Draa. Qui étaient ces chrétiens ? Étaient-ils venus de la péninsule Arabique ? Ou bien quelque missionnaire avait-il apporté la foi chrétienne ? Quoiqu’il en soit ces chrétiens avaient disparu après avoir été défaits par les Juifs.
Un autre texte, le manuscrit de Tiliit, dit : Alors vinrent les chrétiens « du cœur de la mer » qui s’installèrent dans l’oued Zitoun (l’oued Draa) où ils demeurèrent cent ans.
Quoiqu’il en soit, la guerre des 6 jours a provoqué une diaspora irraisonnée des Juifs marocains vers la France, les États-Unis et le Canada, malgré les efforts du roi Hassan pour les retenir.
LE MAUVAIS ŒIL
Le mauvais œil n’est pas la malchance. Celui qui a le mauvais œil, par sa présence, par un simple mot, risque de provoquer le dépérissement de celui qu’il rencontre. Ou bien il pourra être la cause d’un dépérissement. Signe distinctif, il a un regard fixe ou oblique. C’est pourquoi, dans les rapport avec les Marocains, il est très important d’être toujours souriant, avenant et de ne jamais avoir l’air austère ou sévère.
La protection contre le mauvais œil s’obtient par la main ouverte, doigts joints. C’est la « main de fatma », dont l’origine n’est pas islamique mais remonte à l’époque des Carthaginois.
Mais à éviter soigneusement : les buveurs d’huile d’argan crue. Et aussi une mauvaise fée, Lalla Kandisha, à ne pas rencontrer la nuit dans la montagne. Le noir est une couleur protectrice active : bracelets en ébène, bagues, etc. Les pratiques défensives sont excellentes dans les premières moitiés des mois lunaires, les deuxièmes moitiés étant maléfiques.
Et pour finir : un homme et une femme s’aiment, mais des obstacles sociaux les empêchent de se rencontrer : il suffit à l’amoureux de se procurer un peu de terre du seuil de la maison de sa bien-aimée et de prononcer la phrase « Ce n’est pas cette terre que je prends, mais l’esprit de toutes les personnes qui fréquentent cette maison. »
Le tout est d’avoir un « bon grine », c’est à dire sorte de double invisible, à la fois garde-fou et principe actif bénéfique.
Tous ces « remèdes de bonnes femmes » font partie d’un fonds socio-médical commun à toute l’humanité, ici à la sauce marocaine.
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Venons-en à la philosophie du « Festival »
Jean Mazel, à l’issue de ses pérégrinations à travers le Maroc, a remarqué un caractère commun, un lien invisible, qu’il attribue au vieux fonds commun berbère maghrébin, demeuré particulièrement fort au Maroc, le caractère sacré. Les danseuses donnent fréquemment l’impression d’accomplir un rite. Les chœurs d’accompagnement, semblables à des psaumes sont violemment scandés au bendir, ce grand tambourin rustique tendus de peau de chèvre dont le martellement met à l’unisson le cosmique et le tellurique.
Depuis l’implantation de l’Islam au Maroc, les chants et les rythmes sont demeurés, mais, dans les poèmes doucement psalmodiés, le nom d’Allah tout-puissant a supplanté les divinités solaires. Ce pouvoir sensibilisateur des chants et des danses du Maroc n’est pas l’aspect le moins important de ce patrimoine, transmis intact à travers les siècles et les millénaires jusqu’à l’heure présente.
Pendant le temps de la préparation du Festival, la terre tremble à Agadir. Plus de 20 000 morts … Conséquence du deuil national, le Festival est annulé. Mais trois semaines plus tard, le contre-ordre arrive : Sa Majesté Mohamed V voulant que le pays traumatisé se réveille et se remette au travail, avait pensé que maintenir le Festival à la date prévue serait un signal exemplaire.
Pendant dix nuits, nos artistes paysans firent merveille … On s’aperçut que les nuits étaient plus froides que prévu. On amena des coussins et des couvertures, bref on décida de choisir à l’avenir des dates plus tardives et de considérer ce premier festival comme « répétition générale ».
Des hôtesses en caftan spécialement entraînées devaient accueillir les visiteurs ; à Dar el Bedia, les tribunes avaient été agrandies, les éclairages renforcés, et le programme élargi.
Mais à Rabat, le roi Mohamed V devait subir une opération bénigne. or cette opération avait tourné à la catastrophe. Il était 15h 30 le dimanche 16 février 1961. Sur le Méchouar, à la porte du Palais, s’était amassée une foule en pleurs qui perdait le guide, le père, celui qui avait donné au pays l’Indépendance dans la paix, dans la dignité et dans la distinction.
Quinze jours après le commencement du règne d’Hassan II, celui-ci convoquait l’équipe du Festival. Chaleureux et cordial à la fois, il assura que pour honorer la mémoire de son père - que Allah ait son âme - il fallait non seulement maintenir la manifestation mais la transcender :
- Nous avons des invités de marque, alors foncez !