FRÈRES D'ARMES MAROCAINS 1914 - 1918


Création le 17 septembre 2015
Modification 1 le 7 octobre 2015 : projet pédagogique du Lycée Lyautey de Casablanc ?

« Le Royaume du Maroc et la République française ont souvent signé du sceau de l’exception leur histoire contemporaine … cette exception qui fait notre fierté s’est vérifiée chaque fois que la liberté des hommes a été mise en péril ou en équation sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, dans la résistance face au nazisme et au fascisme partis à l’assaut du monde. » (extrait du discours prononcé par Sa Majesté Mohammed VI, Roi du Maroc, le 20 décembre 2002, à l’occasion de l’inauguration de la place Mohammed V à Paris).

« Les amitiés entre nations se forgent dans le creuset de leur histoire commune. Elles se nourrissent de visions, d’idéaux communs, d’ombres, de lumières, de combats menés côte à côte … » (extrait de la réponse de Jacques Chirac, Président de la République française).

Cet article sur les troupes marocaines fait référence au remarquable livre de Jean-Pierre Riera et de Christophe Touron : « Ana ! Frères d’armes marocains dans les deux guerres mondiales ».

Pour bien faire, nous commencerons par la fin du livre : l’épilogue.



Au cours du voyage officiel du Sultan Sidi Mohammed ben Youssef, au mois de juin 1945, le général de Gaulle affirme dans un discours que « Devant la France et le Maroc, dont les liens indissolubles viennent d’être encore une fois consacrés par le sang versé en commun sur les champs de bataille, s’ouvrent de brillantes perspectives ».

Mais au-delà des vicissitudes d’une histoire partagée par le Maroc et la France, force est d’admettre que le lien du sang, tissé durant les deux guerres mondiales par les Frères d’armes marocains et français constitue encore aujourd’hui l’un des fondements essentiels du caractère exceptionnel des relations entre ces deux pays.

En écrivant l’une des pages les plus marquantes de leur vie, les soldats marocains, engagés en 1914-1918 et en 1939-1945, ont aussi écrit l’un des chapitres les plus intenses de l’histoire du Maroc et de la France, à l’encre de leur sang. Mais ces pages semblent avoir été trop rapidement tournées … De nos jours elles sont souvent peu ou mal connues, voire même oubliées par une grande partie de la population de part et d’autre de la Méditerranée …

… Afin que les sacrifices de ces combattant marocains n’aient pas été vains, sur les deux rives de la Méditerranée, puissent les hommes libres, tout particulièrement les jeunes générations, ne jamais l'oublier !

 
CIMETIÈRE MAROCAIN NOTRE DAME DE LORETTE - 1915

 DAKERSCOCODE ne l’oublie pas : voici le premier des deux articles sur les combattants marocains : « Frères d’armes 1914/1918 ».

Mais tout d’abord, des extraits de l’intervention de Madame Bahija Simou, Directrice des Archives Royales du Maroc, membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer, lors de la conférence qu’elle a donnée à cette Académie le 19 juin 2015 :

L’occupation française dans la ville de Fez en 1912 était encore présente dans la mémoire des Marocains et dans l’État-Major français. C’est dans cette atmosphère lourde, dans le sentiment de rejet de la colonisation, que le Royaume marocain est sollicité pour prendre part à la Grande Guerre, aux côtés de la France et de ses alliés. 


Le 20 août 1914, dans un message qui est lu dans toutes les mosquées, le Sultan Moulay Youssef, Commandeur des Croyants, demande de prendre part au conflit aux côtés de la France et de soutenir le gouvernement français, en ces termes : « La France s’est trouvée dans l’obligation de prendre les mesures nécessaires à la défense de son territoire national, et ses amis se sont mis à ses côtés pour combattre l’ennemi sur terre et sur mer … Nous sommes persuadé que vous saurez montrer au milieu des autres troupes les qualités de courage et de bravoure, à l’heure du combat. Vous prouverez à l’ennemi que vous êtes dignes de la réputation que l’on vous avait bâtie durant vos précédentes campagnes. Vous revivrez les prouesses de vos ancêtres. Vous allez acquérir la réputation de laisser un souvenir glorieux qui se transmettra de génération en génération à la postérité … Ne formez qu’un seul corps et une seule âme. Soyez tenaces et faites preuve de la plus grande fermeté, la fermeté récompensée par la victoire ! »



Le Sultan voit aussi dans la participation à la guerre une opportunité de faire libérer ses soldats emprisonnés depuis les événements de Fez, et d’obtenir la sécurité pour ceux qui s’étaient déclarés réfractaires … L’appel du Sultan traduit son courage politique, sa capacité à conduire une difficile conjoncture aux multiples conséquences contradictoires. En prenant cette décision, il ne fait que se conformer aux grandes traditions du Maroc, tout en se référant aux liens qui unissent le Maroc à la France.

Il convient de rapprocher de son attitude celle de son fils Mohamed, le futur roi Mohamed V, lorsqu’il lancera en 1939 son appel invitant les soldats marocains à aller combattre aux côtés des Français pendant la deuxième guerre mondiale. Le Président Poincaré adresse un télégramme de remerciements au Sultan. De son côté, le général Lyautey tient ce propos :

« Dès le début de la guerre, Sa Majesté chérifienne, digne héritière de ses glorieux ancêtres, a compris que la nation dont il est le chef incontesté, ne pouvait que se solidariser avec ceux qui luttent pour le triomphe du droit, de la justice et de la liberté. »

La réponse marocaine est massive, puisque en deux mois, 8 500 volontaires peuvent être enrôlés. Mais, n’étant pas intégrés dans l’armée française, ils peuvent, en cas de capture, être considérés comme des francs-tireurs. Le recrutement se poursuit avec l’aide des grands Caïds du sud. En définitive, le Maroc va former 40 000 combattants, dont 33 000 sont envoyés sur le front français. Appréciation d’un officier supérieur français :
« Les fantassins marocains sont intelligents, courageux, passionnément guerriers, résistants, ils sont de bons marcheurs ; bien que de caractère difficile, ils sont d’une façon générale parfaitement dévoués à leurs chefs qui parlent leur langue. Ils sont meilleurs tireurs que les Algériens. Certains d’entre eux tirent très très bien. »

Pendant la Grande Guerre, les Marocains ont enduré, indépendamment de la violence des combats, d’énormes souffrances physiques et morales. Ils étaient appelés à s’adapter à de mauvaises conditions de guerre, à apprendre le maniement d’armes inconnues pour eux, à s’initier à une tactique de guerre différente de la leur, à souffrir de la nostalgie et du mal du pays, à cohabiter avec une autre culture.



Le 17 août 1914, les habitants de Bordeaux viennent observer
un étrange campement installé sur la place des Chartrons. 
Il s’agit des premiers éléments marocains qui ont dressé leurs petites tentes. Ils n’ont pas de vêtements de drap et conserveront tout au long de la guerre leur djellaba traditionnelle. La légende veut que ce soit les pans de ce vêtement, volant au vent lors des charges comme des ailes d’oiseau, qui aient donné l’idée aux Allemands de surnommer les hommes du régiment de marche des tirailleurs marocains les « hirondelles de la mort ».

Le 5 septembre, la bataille de l’Ourcq s’engage à moins de 30 kilomètres de Paris.  Les combats sont brefs, héroïques, violents et extrêmement meurtriers. Le régiment marocain perd 19 officiers et 1150 sous-officiers et soldats, soit 30% de son effectif. Le 16 septembre, attaque à la baïonnette. Les pertes sont alors de 50% ! Le général Maunoury : « Disciplinés au feu comme à la manœuvre, ardents dans l’attaque, tenaces dans la défense de leurs positions jusqu’au sacrifice, supportant au-delà de toute prévision les rigueurs du climat du Nord, ils donnent la preuve indiscutable de leur valeur guerrière. » Le Sultan Moulay Youssef à ses compatriotes : « Les généraux et les chefs français ont conçu pour vous une telle estime que vos frères restés ici sont jaloux de ces lauriers réservés aux braves que vous avez cueillis sur les champs de bataille.

 Le régiment s’illustre encore lors des combats en Artois, en mai-juin 1915. Le Président de la République, accompagné du Roi des Belges vient féliciter les Marocains. Un simple exemple concernant un simple soldat qui en dit long : «À deux reprises a, par son autorité, ramené au combat des groupes d’hommes de deux compagnies privées de leur chef. »



À l’aube du 16 avril 1917, les Marocains s’élancent hors des tranchées lors de la tristement célèbre offensive du Chemin des Dames. D’un élan, ils enlèvent trois lignes de tranchées de la première position allemande, puis franchissent successivement deux ravins sous un feu violent de mitrailleuses, dans le bois de Paradis. Tous les défenseurs sont massacrés ; le chemin des Dames est atteint. Lorsqu’ils arrivent sur le bord du plateau, l’ordre de s’arrêter leur parvient, ils sont trop avancés, les autres ne suivent pas ! (On comprend mieux quand on sait que, lors de cette bataille, les tirs d’artillerie ont déversé 400 obus au mètre carré !).


Autre combat en 1918 : Le régiment perd alors les deux tiers de ses effectifs ! Souvenir du sous-lieutenant Juin « C’était une espèce d’hommes, hors des lois communes, aimant la fête entre les dangers, et mus par un vague mysticisme. En voyant passer les Chleus portant de longs cheveux, signe de courage, chacun se demandait ce qu’ils représentaient, et surtout ce que signifiaient les syllabes gutturales du chant étrange qu’ils entonnaient dans leur marche : « Men Moulay Idriss djina, ya Rebbi taafou alina (Nous venons de Moulay Idriss, que Dieu efface nos péchés. »




On lira également avec intérêt l'interview de Jean-Pierre Riera dans le journal "Le Monde"

http://lagrandeguerre.blog.lemonde.fr/2014/10/24/le-maroc-dans-la-grande-guerre/


LES SPAHIS MAROCAINS SUR LE FRONT DE L’OUEST

Le maréchal Lyautey à l’État-major français : « Même si les spahis ne parlent pas le français, et si leurs chevaux sont très inférieurs aux chevaux algériens, … je vous garantis que vous pouvez lancer ces escadrons contre n’importe qui. Prenez-les. Je vous le demande instamment, vous en serez content. » 



 De nombreuses citations illustre le courage des spahis : « Blessé à son poste de guetteur le 23 mai 1916, ayant eu une épaule traversée et une artère rompue, perdant son sang en abondance, a eu l’énergie de rester à son poste d’observation jusqu’à ce que l’officier de quart le relevât. A refusé de se laisser transporter au poste de secours et s’y est rendu à pied. »

 Les pertes de l’hiver 1914/1915 entraînent une première réorganisation, bientôt une partie des hommes abandonne ses chevaux pour s’initier à la guerre des tranchées. Ces hommes excellent dans les patrouilles, les coups de main et les embuscades. En 1915, ils sont en Champagne, puis en Artois, toujours en première ligne.



LES SPAHIS MAROCAINS DANS L’ARMÉE D’ORIENT

Le régiment de Spahis est retiré du front pour être affecté à l’armée d’Orient. Une citation suffit pour l’illustrer en Albanie, en 1917 : « Au cours de quatre journées et quatre nuits de combats ininterrompus, a forcé le passage du Dévoli (Albanie), bousculé dans un terrain difficile et montagneux des bandes d’irréguliers, enlevé de haute lutte, sur une profondeur de 18 kilomètres, des ouvrages défendus par les troupes autrichiennes, pénétré à la baïonnette dans le village de Pogradec tenu par des contingents allemands, les refoulant au nord du village, et assurant ainsi le plein succès de la manœuvre débordante qui lui avait été assignée. A donné un superbe exemple d’énergie et d’audace ; s’est emparé de plusieurs canons, de mitrailleuses, de nombreux prisonniers et d’un important matériel. »

EN CONCLUSION


Le Maroc est fortement mis à contribution dans l’effort de guerre français. Les pertes sont proportionnellement plus importantes pour les tirailleurs que pour les spahis qui sont plutôt utilisés pour des coups de main et des embuscades. Au total, près de 11 000 hommes - ce qui est énorme -  à peu près le même pourcentage que pour les « poilus » français. Mais rappelons que ces combattants marocains sont morts pour un pays qui n’était pas le leur.

Ils ont fait preuve d’un loyalisme à toute épreuve. Comment expliquer cet état d’esprit ? Par l’esprit de corps, la solidarité au combat, l’attachement à des chefs qui connaissent bien leurs hommes, parlent souvent l’arabe et respectent leurs coutumes. Mais l’influence du Sultan est aussi très importante : il adresse des lettres et des encouragements à ses soldats.

La Grande Guerre constitue pour les soldats marocains une expérience à plus d’un titre : ils quittent leur région, leur pays, voyagent, prennent le bateau, le train, découvrent de nouvelles cultures et parcourent de nombreux pays de la France à la Syrie en passant par les Balkans. Ils apprennent le français : partout ils sont bien accueillis, acclamés parfois. Sur leur passage, on jette des fleurs …

Le 11 novembre 1918, lors du défilé de la Victoire à Paris sur les Champs Elysées,  un vibrant hommage est rendu par la foule aux troupes françaises et aux soldats alliés qui passent sous l’Arc de Triomphe. La participation à ce défilé de spahis et de tirailleurs du 1er et 2ème RMTM, qui se sont fièrement battus durant la guerre sous le fanion chérifien, symbolise la précieuse contribution du Maroc à la victoire de 14-18. 


Contribution qui sera de nouveau sollicitée par la France, une vingtaine d’années plus tard.

Défilé de la victoire à Paris

On ne manquera pas non plus de consulter aussi le projet pédagogique du Lycée Lyautey de Casablanca